Arcimboldo ou l'art du beau bizarre
Quand j'étais petite, les portraits bizarres d'Arcimboldo me fascinaient. Je ne les trouvais pas vraiment beaux, plutôt inquiétants (d'ailleurs ils me laissent toujours perplexes), mais je ne pouvais m'empêcher de les regarder, et de chercher un détail qui m'aurait échappé. 

L'illusion d'optique n'y est pas "cachée" , on comprend, a priori, comment l'image est fabriquée ; pour autant, les éléments sont si nombreux et leur accumulation produit un effet si particulier que le spectateur est invité  à passer sans cesse du détail à l'ensemble, à tenter de saisir les subtilités de la composition. Et d'ailleurs, une fois qu'on a saisi les éléments "particuliers" qui forment la bouche, l'oreille, l'œil ou l'expression du visage, on ne voit peut-être plus l'ensemble de la même manière. 

L'artiste milanais, influencé par Léonard de Vinci, fut pendant 20 ans au service de Rodolphe II à la cour des Habsbourg, à Vienne. Le peintre maniériste s'y livra à cette toute nouvelle façon de peindre, avec ces portraits anthropomorphes réalisés à partir d'objets ou d'éléments de la nature.

C'était là un jeu extrêmement raffiné, compliqué, technique, qui supposait une immense connaissance des formes de la nature et un goût de l'expérimentation et de la surprise, en rupture totale avec l'art de son temps. Artiste de cour, Arcimboldo (même son nom sonne comme celui d'un personnage fantastique, non?) concevait des costumes, des décors de fêtes, et avec ces portraits composites, il apporta une touche d'humour énigmatique à un public très réceptif. 

Artiste conceptuel bien avant l'heure,  il interrogeait déjà le statut de l'image : que regardons-nous? Qu'est-ce qu'un visage?  Les éléments de la nature sont-ils sensibles, expressifs? Comment fonctionne le regard? Pourquoi ne pas imaginer qu'un visage soit composé d'objets? 

Dans son sillage, plusieurs siècles après sa mort, les surréalistes, Dali en tête, réinterprèteront ce travail onirique, et exploreront à nouveau cette idée d'un assemblage d'apparence hétéroclite qui revêt un nouveau sens, ouvrant notre regard sur une autre façon de percevoir le monde, ou sur des mondes contenus à l'intérieur du monde des apparences.

Enfin, en associant des éléments de la nature pour créer des visages, il nous livre un autre message d'une incroyable modernité : n'oublions pas que nous sommes, nous aussi, une parcelle de la nature, et non…le centre du monde. 

Sonia Zannad

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