Une raie et son couteau qui font des petits...
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Il y a moult années de cela, deux tableaux ont accroché l'œil de votre rédacteur lors de ses premières visites au Louvre : "La Raie" par Jean Siméon Chardin et "Le bœuf écorché" de Rembrandt. Peut-être un relent du poème "Charogne" de Baudelaire… et le fait que votre rédacteur ne goûte guère la viande et la raie.

Mais bon, cette raie a fait bien des émules et cet article vous en propose trois : Cézanne, Sisley, Matisse.
Les 5 tableaux affichés sont : 
 - La raie, par Jean Siméon Chardin, 1728, Musée du Louvre, Paris 
 - Nature morte à la bouilloire, par Paul Cézanne, 1869, Musée d’Orsay, Paris 
 - Nature morte aux pommes, par Alfred Sisley, 1868, Muskegon Museum of Art, Michigan
 - Le pain et les œufs, par Paul Cézanne, 1865, Musée d'art de Cincinnati 
 - Nature morte au pichet, par Henri Matisse, 1896, MuMA, Le Havre 


Le tableau "La raie" de Chardin, au centre de l'image, est divisé en deux parties : le vivant à gauche (chat, huîtres) et l'inanimé à droite (pichet, marmite et autres ustensiles), la raie écorchée et éviscérée faisant la transition entre ces deux parties. Le petit chat, le poil hérissé, semble tendu et apeuré par une scène située hors du tableau, ou tout simplement les deux poireaux à côté de lui. Le regard vide de la raie et des deux poissons nous interpellent. Le couteau à manche de corne, avec ses 4 rivets, est là pour être saisi par le spectateur. Ce tableau, avec son pendant "Le buffet", marque les débuts de la carrière de Chardin et lui permet d’entrer à l'Académie royale.

Le tableau "La raie" a fait l’admiration de beaucoup d’artistes :

Diderot s’interroge à sa vue sur le fait de "sauver par le talent le dégoût de certaines natures" autrement dit, comment rendre beau ce qui ne l’est pas d’ordinaire. En 1765, il salue l'artiste : "Vous revoilà donc grand magicien, avec vos compositions muettes".

Proust en fait cette description : "Mais au-dessus de vous un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin […]. On […] sent déjà la fraîcheur des huîtres qui vont mouiller les pattes du chat et on entend déjà, au moment où l'entassement précaire de ces nacres fragiles fléchira sous le poids du chat, le petit cri de leur fêlure et le tonnerre de leur chute".


Le couteau s'est donc retrouvé dans plusieurs œuvres d'autres artistes :

Cézanne a peint de nombreuses natures mortes, et généralement il y pose les fruits sur une serviette. Cette dernière est alors blanche pour mettre les fruits en valeur et faire ressortir leurs couleurs, et un peu chiffonnée pour donner une impression de volume. On retrouve le couteau de Chardin bien en évidence, orienté vers le spectateur, renforçant la profondeur de la toile. Ne disait-il pas "Je voudrais étonner Paris avec une pomme", en commentant ses natures mortes. C'est dire la place qu'il attribuait à la pomme : à la fois insignifiante et essentielle… 
Dans le second tableau de Cézanne, la nappe permet de faire ressortir la couleur rouge-brun du pain. Ici aussi, on retrouve le couteau de Chardin bien en évidence.


Sisley a fait peu de natures mortes. Ici, une table dont le jaune est rendu plus lumineux par un fond sombre, et quatre pommes. Le couteau est là pour couper la pomme en quartiers, bien sûr, mais aussi pour accentuer la perspective. Les somptueuses couleurs d'été et l'exceptionnelle luminosité nous font réellement regretter que Sisley en ait peint si peu.


Sur les conseils de son professeur à l’École des Beaux-Arts, Matisse passe de longues journées au Louvre à copier les Anciens. Il affirme, encore en 1913 : "Oui je vais souvent au Louvre, c’est l’œuvre de Chardin que j’y étudie le plus. Je vais au Louvre pour étudier sa technique". Dans "Nature morte au pichet", Matisse se réfère à "La raie". Ici pas de nappe. Le couteau disposé en diagonale donne toute sa profondeur à la composition.


N'hésitons pas à aller nous rincer l'œil et voir ces tableaux au Louvre, ou à Orsay, ou au MuMA


Le livre Chardin, la nature silencieuse emmène son lecteur au cœur de l'art savamment construit et profondément médité de Chardin, l'un des plus grands peintres français.
Insolite, inclassable, le court roman Trois jours dans la vie de Paul Cézanne de Mika Biermann, ne peut que ravir les fans du peintre génial.


Votre rédacteur ne peut pas vous quitter en vous offrant un extrait de "Charogne" de Baudelaire. C'est un cadeau un peu trop glauque. Il vous propose plutôt une jolie balade musicale, par France Gall, au milieu des œuvres de Cézanne : "Cézanne peint", chut... 


Mangez des pommes !

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