« On ne voit bien qu’avec le cœur »
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Ce matin-là, nous avons rendez-vous au Petit Palais, pour écouter Corinne (Carrousel Art) nous parler des Demoiselles des bords de Seine de Gustave Courbet (1819-1877) : sous l’apparence d’une scène de genre traditionnelle, le peintre va bousculer toutes les règles de l’art. Dans un deuxième temps, notre guide nous proposera une comparaison avec L’autoportrait dit au chien noir accroché tout à côté. Notre petit groupe (une dizaine de personnes) présente une particularité : il mêle personnes non-voyantes et voyantes. Dominique est venue avec son chien-guide, Egée ; il y a aussi Marie-Paule et Alain. En écoutant Corinne, qui prend soin de faire des audio-descriptions très précises des tableaux, on s’aperçoit que cette visite est enrichissante pour tous : ceux qui ne voient pas ont accès à l’imaginaire de l’artiste, et ceux qui voient ont soudain une toute autre « vision » des choses, augmentée d’éléments qu’ils n’auraient sans doute pas remarqué sans ce temps long passé devant les œuvres et cet effort d’imagination supplémentaire auquel nous invite Corinne. Car il se passe beaucoup de choses en-dehors de la toile ! Le contexte, les sons, le « hors-champ »… Alors, comme Saint-Exupéry, on se dit « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».  
Suite à cette visite, nous avons voulu en savoir plus sur les actions menées en faveur des personnes mal ou non-voyantes en matière de culture. Nous avons pour cela interrogé Michel Tessier (Président de l’association Le Livre de l’Aveugle) et Robert Lequement (Responsable des sorties culturelles de l’Association Valentin Haüy)  

Mes Sorties Culture : Monsieur Tessier, pouvez-vous définir en quelques lignes le principe de l'audiodescription?

Michel Tessier : Le principe de l'audiodescription est simple : il s'agit de voir "à la place", remplacer les yeux des aveugles et faire part de ce que nous observons. 
Il faut pour cela respecter scrupuleusement quelques principes : 
la description pure et simple de ce que nous voyons (pas de fioritures culturelles de prime abord), ensuite rester précis et clair et faire des choix (inutile de tout décrire absolument), éviter les interprétations personnelles et affectives (telles que "le personnage semble plongé dans la tristesse"), rester limité dans le temps (une audiodescription de 2mn30 à 3mn selon l'importance de l’œuvre), employer un vocabulaire accessible au plus grand nombre. 

MSC : Quel est votre projet avec les musées parisiens?  

MT : Notre projet est de mettre à la disposition des musées notre savoir-faire. Nous pensons que la réalisation d'une plage spécifique sur un audioguide rendrait plus facilement accessible aux aveugles ou mal voyants les oeuvres exposées de manière permanente ou temporaires. Il sera alors possible d'ajouter à nos audiodescription un versant culturel en accord avec les conférenciers.  

MSC : Pensez-vous qu'il serait positif de multiplier les visites qui, comme celle du petit palais, mêlent public voyant et non ou malvoyant? Pour quelle(s) raison(s)?  

MT : Les visites semblables à celle à laquelle vous avez assisté sont évidemment à renouveler. En effet il ne faut surtout pas isoler les personnes handicapées ; leur insertion sociale en souffrirait grandement. Vous avez pu remarquer que les questions posées étaient issues des voyants et des non voyants. Les accompagnateurs ont un rôle important à jouer mais ils doivent laisser à leurs amis aveugles ou déficients visuels une autonomie certaine. C'est pourquoi les aveugles et déficients visuels doivent disposer d'outils d'information spécifiques complémentaires à ceux à destination des voyants.

MSC : Monsieur Lequément, pouvez-vous nous présenter l’association en quelques mots ?

Rober Lequément : L'Association Valentin Haüy, reconnue d'utilité publique en 1891, a pour vocation d’aider les aveugles et les malvoyants à sortir de leur isolement, et de leur apporter les moyens de mener une vie autonome. Les activités s’exercent au siège de l’association, comme dans ses établissements et ses comités régionaux, qui proposent aux personnes déficientes visuelles un ensemble de services de proximité : accueil, conseils, orientation, cours de braille, cours d’informatique adaptée, vente de matériel spécialisé, activités culturelles, sport. 

MSC : Vous plaidez et vous oeuvrez pour une plus grande accessibilité de la culture pour les personnes non ou malvoyantes. Quels sont vos projets en la matière?  

RL Permettre que les arts et la culture soient accessibles à tous est en effet l’une des missions poursuivies par l’association Valentin Haüy, et entreprise notamment par ses 117 implantations locales partout en France.  Au sein du Comité Paris/Ile-de-France je suis bénévole, responsable des sorties culturelles  

MSC : Qu'est-ce qui manque aujourd'hui pour une meilleure accessibilité de la culture en faveur des personnes non ou malvoyantes?   

RL : Ces dernières années les musées ont développé l’accueil des publics non ou malvoyants.  Sur Paris/Ile-de-France, pour rendre accessible les œuvres peintes,  les musées du Louvre, d’Orsay, de l’Orangerie, du Petit Palais, du Quai Branly-Jacques Chirac, du domaine départemental de Sceaux, ou  de Port-Royal des Champs par exemple, ont réalisé des tableaux tactiles qui accompagnent le discours adapté des conférenciers. Pour la sculpture le Louvre, Orsay, les musées Rodin, Bourdelle, de Sceaux par exemple mettent à disposition des non-voyants des moulages ou permettent le toucher d’œuvres avec des gants. Les maquettes et les reproductions se sont développées ses dernières années dans les Monuments nationaux, au musée de Cluny, au Musée de l’Homme, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, au Museum national d’histoire naturelle,  par exemple. Avec le développement des imprimantes 3D  on peut espérer que plus d’expositions temporaires soient facilement accessibles.

MSC : Quel type de visites organisez-vous, et quel genre de retours recevez-vous de la part des publics participants?  

RL :  Le programme des sorties culturelles du second trimestre 2017 comprend des événements musicaux et des promenades culturelles.  Plus de quatre-vingt adhérents du Club de la Sizeranne au Comité Paris/Ile-de-France profitent au moins de deux de ces sorties chaque année. Le dialogue est permanent et les retours sont constructifs et très positifs.  

Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com

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