Mr Bacchus, l’échappée belle
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Casque vissé sur les oreilles et démarche assurée, Christopher Michaut a l’air de vivre en 2018, mais ne vous y trompez pas : en réalité, il habite un autre espace-temps. Tandis que nous vaquons à nos occupations quotidiennes, il partage la vie de Michel Ange, celle d’Odilon Redon, et se promène dans les toiles de Turner. Pourtant, pas une once de prétention chez ce vingtenaire amoureux de la peinture du XIXe siècle. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est partager sa passion sur son compte Instagram @mr.bacchus (tout de même 22 500 abonnés…) grâce à son regard singulier, sa connaissance autodidacte de l’histoire de l’art et surtout une sensibilité à fleur de peau. Il pourrait faire de cette citation de Gustave Moreau (citée sur son compte) sa propre maxime : « Je ne crois ni à ce que je touche, ni à ce que je vois. Je ne crois qu'à ce que je ne vois pas et uniquement à ce que je sens. » Nous l’avons rencontré en ce début de mois de décembre pour en savoir plus sur ce qui l’anime et parler de mondes parallèles.

D’où te vient ce goût de l’histoire de l’art et de la peinture?  

Alors que j’exerçais la profession de mannequin depuis 8 ans, j’ai eu envie de m’intéresser à des choses plus profondes. J’ai commencé à beaucoup voyager, et au fil de mes voyages il y avait un point commun : les musées. Je retrouvais ces lieux familiers de ville en ville, comme un fil conducteur rassurant. Et au départ, ce qui m’a donné envie de voyager c’était aussi la peinture, en particulier le parcours de Peder Balke, ce peintre voyageur. J’avais envie de suivre sa trace.  

J’ai commencé mes études d’histoire de l’art au bout de 5 ans de mode. Mon métier m’imposait de voyager seul. Et depuis 3 ans, je suis les traces des peintres romantiques.   L’art me permet de trouver des parallèles entre le passé et le présent, de chercher des échos entre ma vie et celle des peintres. En fait, avec eux, je me sens accompagné. Je voyage aussi à travers les peintures, je rencontre - virtuellement - les artistes.  

Pour ce qui est de mon intérêt pour l’histoire de l’art, mon envie de comprendre, le déclic est venu de ma lecture de Gombrich, en parallèle d’ouvrages plus généralistes. A partir de là, vraiment, j’ai découvert tout un univers et je ne pouvais plus m’arrêter, j’ai vécu une vraie boulimie d‘histoire de l’art. Cette discipline permet d’explorer des questions sociologiques, anthropologiques, à travers le filtre de la beauté. De comprendre le monde sous un angle esthétique que je trouve très réconfortant.  

Pourquoi cet intérêt particulier pour la peinture?
 

C’est toujours l’idée du voyage qui me guide. Pour moi, entrer dans un tableau équivaut à un voyage, voire à un trip psychédélique. Le tableau est une fenêtre sur une histoire, un lieu, une personne. Quand je me tiens devant le tableau, je suis littéralement absorbé dedans. Une sculpture, c’est en trois dimensions, on peut tourner autour, on n’oublie pas l’environnement, on voit encore les gens autour. Alors que la peinture, j’ai l’impression de pouvoir m’immerger dedans, de pénétrer un nouveau monde à chaque fois.   Les tableaux sont autant de mondes chimériques, comme un catalogue géant où la beauté règne en maître. Grâce à la peinture, je peux recomposer mon quotidien à l’envi. Je vois, je prends, et je restitue, notamment via mon compte Instagram. C’est un processus de transformation.   J’ai une très bonne mémoire photographique. Je vois une toile, et je l’associe immédiatement à une autre, puis à une troisième, etc.  

Quelle est la fonction de la peinture, selon toi?
 

Quand je sors d’une exposition, le monde a changé. Pendant quelque temps je ne vois plus les choses de la même façon : les gens, le ciel, les couleurs...C’est comme passer dans un autre état d’attention, plus ouvert. Cela m’aide à réinterpréter le monde intérieur et le monde extérieur, à travers un nouveau filtre.   Pour moi c’est proche d’une expérience mystique, qui me permet d’oublier complètement l’ego. Je ne suis plus moi. On dit des personnes croyantes que leur foi modifie le fonctionnement de leur cerveau (ça a été observé par IRM), et je crois que l’art a le même effet. Face à une toile, je quitte l’intellectualisation, je suis directement connecté à mes émotions.  

Une émotion artistique qui t’aurait particulièrement marqué?
 
Oui à la chapelle Sixtine. Je cherchais à voir le pape Paul derrière la porte, enserré par un serpent. J’ai écouté, en le regardant, “Mariage d’amour”  de Paul de Senneville et je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Pleurer de gratitude. En sortant de la chapelle tout était transformé : le rapport ciel-terre, les gens que soudain je voyais différemment, dont j’avais le sentiment de voir le vrai visage. Car Michel Ange comme Goya, Redon, Brueghel ou Bosch ont cette capacité de montrer le “masque” des personnages. Les visages reflètent la personnalité des gens.  

Quelle est la place de la musique dans ton univers?
 

Je ne sors presque jamais de chez moi sans musique, surtout en ville. Et je visite les musées et expositions en musique, avec des bandes-son préparées soigneusement à l’avance, selon un système presque synesthésique. Pour moi la musique et la contemplation vont de pair. J’aime vivre des expériences sensorielles totales. Je choisis la musique et le musée en fonction de mon humeur, ou de l’humeur que je veux atteindre. En réalité, je pratique sans cesse une forme d’art-thérapie!  

Une association évidente entre musique et peinture?
 

Le Kyrie for Magdalena de Hans Zimmer  avec Dante et Virgile de Bouguereau, visible au musée d’Orsay.  

Tu sembles doté d’un appétit particulier pour les sujets dramatiques, les corps et les visages tourmentés...
 

J’aime montrer la beauté qu’il y a dans ce qui est sombre. Parfois, je m’appuie sur des toiles plus joyeuses, pour donner une autre connotation à ma journée. Une autre couleur. Ce qui peut produire cet effet réconfortant, qui m’apaise dans ce monde agité, c’est la peinture et la nature. Rien d’autre. Enfin, si, peut-être mes amis, quand même!  

Pourquoi, selon toi, ça fait tant de bien de fréquenter les peintres?
 

Dans ce monde stressant, parfois oppressant, ils nous aident à prendre du recul. On le voit en particulier avec tous les peintres “charnière”, dont le rôle a été déterminant dans l’histoire de l’art, ceux qui ont lancé de nouveaux courants.   Quand on étudie l’histoire de l’art,  on voit bien que tout n’est qu’un éternel recommencement. Ça aide à relativiser! Les conflits sont les mêmes, ils changent de forme mais ils sont les mêmes. Les décors changent mais tout ce qui arrive s’est déjà produit, avant. Et le filtre de l’art, de la beauté permet d’alléger les effets du tumulte ambiant.  

Quels sont tes musées préférés, en France et ailleurs?
 

Mon musée préféré c’est le musée d’Orsay parce que j’y ai découvert pour la première fois un éventail très large d’artistes du Romantisme. Et aussi la Tate Britain, pour les tableaux de Turner qui me bouleversent à chaque fois.   La sélection d’oeuvres d’artistes nordiques du Louvre me parle beaucoup aussi.   Il m’arrive aussi d’aller au musée Gustave Moreau, et d’enchaîner par le musée de la vie romantique pour rendre visite à un certain portrait.  

Quel genre de messages reçois tu sur ton compte Instagram?
 

Je reçois beaucoup de messages de reconnaissance, c’est vraiment ce qui domine. J’ai peut-être reçu 10 000 messages depuis que j’ai commencé, du monde entier. Les gens se livrent, racontent des choses très personnelles derrière leur écran, avec le prétexte de l’art. Tout ce que je poste est au final assez personnel  : je dis simplement ce que je ressens face à une toile, et cela fait écho chez les autres, les amateurs, les connaisseurs et ceux qui découvrent complètement. Chacun a une réaction différente, mais c’est l’impression ressentie face à une peinture qui crée le lien, qui fait de mes followers une vraie communauté de coeur.

Sonia Zannad / Mes sorties culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com   


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