L'été en pente douce
A l'approche de l'été, penchons-nous sur "Une baignade à Asnières" de Georges Seurat. C'est une scène estivale, sereine, une scène de loisirs de la fin du 19e siècle, dans la région parisienne. Au premier plan, la rive d'un fleuve : c'est la Seine. Un groupe de jeunes hommes s'y prélassent, certains se baignent dans une eau peu profonde. On voit passer quelques bateaux à voile, une barque, un aviron. C'est certainement dimanche. Le ciel est clair, perturbé seulement par les fumées d'une cheminée d'usine, et celles d'un train, au loin.

Nous sommes en 1884, la révolution industrielle est passée par là : on distingue nettement les cheminées des usines de Clichy, et un pont ferroviaire, celui de Courbevoie : un décor nouveau, qui contraste vivement avec la scène bucolique qui se déroule sous nos yeux. Cette modernité résulte des travaux du baron Haussmann, qui a rejeté les infrastructures polluantes et les travailleurs en-dehors du centre de Paris.

Le peintre Georges Seurat, qui n'a alors que 24 ans, veut rendre hommage à ces classes laborieuses dans un tableau de grand format (3m x 2m). Il veut leur donner toute leur importance, les peindre comme les sujets d'une fresque historique, en les représentant dans un moment de repos et de plaisirs simples - après tout, les peintures qui mettent en scène les loisirs de la bourgeoisie sont légion, pourquoi ne pas s'intéresser aux autres classes sociales de son temps?

Pour restituer cette scène, l'artiste choisit de développer une nouvelle technique : il expérimente la "touche divisée", ce qui deviendra le pointillisme, une méthode inspirée par l'impressionnisme qui consiste à additionner les points de couleur vives primaires et complémentaires. C’est ensuite l’œil qui reconstitue les autres couleurs par les mélanges optiques, une fois le tableau regardé à une certaine distance. Il s'agit, comme avec les impressionnistes, de faire transparaître les différents jeux de lumière sur les motifs et particulièrement sur l’eau.

Ces jeunes gens apparaissent un peu énigmatiques, de profil ou de dos, le visage à moitié caché par leurs chapeaux, dans des tons pastels, les traits comme floutés, bien que les contours de leurs corps soient nettement définis. Ils sont proches, se connaissent très certainement, sont peut-être venus ensemble, mais ils ne se parlent pas. Ils profitent du moment, observent la scène et les alentours un peu comme nous les observons à notre tour, à plus d'un siècle de distance. Les corps encore pâles (c'est sans doute le début de l'été) et les regards – y compris ceux du petit chien au premier plan - sont presque tous tournés vers l'autre rive, vers le hors-champ, autrement dit ce que l'on ne voit pas. Le personnage de droite, coiffé d'un chapeau de feutre rouge semble siffler, héler quelqu'un.

L'atmosphère douce et calme qui se dégage de la scène contraste avec la réputation des ouvriers et des faubourgs, associés à l'époque à l'insalubrité, aux maladies, à la pauvreté. Seurat leur rend ici toute leur dignité, dans une scène à mi-chemin entre le rêve et la réalité, hors du temps, dans la lumière diffuse de juin, opérant un subtil mariage entre l'eau et le ciel, comme pour dire : cette beauté appartient à tous.

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad 

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