Le festin féministe de Judy Chicago
The Dinner party : tel est le nom de l'œuvre iconique de Judy Chicago, artiste américaine que l'on peut voir aujourd'hui au Brooklyn Museum de New York, où une salle entière lui est consacrée.

Cette œuvre des années 1970 qui s'annonce, par son titre, comme une invitation ou un événement est en réalité une installation imposante, sous forme de tables de banquet disposées en triangle et sur lesquelles son installés 39 couverts, 13 sur chaque côté du triangle, pour autant de convives imaginaires. Enfin pas tout à fait imaginaires! Les invitées - il ne s'agit que de femmes - ne sont pas là, mais elle sont convoquées symboliquement, elles occupent l'espace du musée et l'espace de nos imaginaires, elles que l'histoire a si facilement reléguées au rôle de figurantes, que les musées ont si longtemps ignoré. Judy Chicago a composé ici une sorte de « dîner idéal », avec une assemblée de rêve, une réunion impossible, faisant fi du temps et de la réalité.  Pour concevoir cette installation Chicago a travaillé pendant 6 ans avec d'autres artistes et artisans.

Pour chaque personnalité, le chemin de table brodé de son nom est différent ; quant aux assiettes, elles  sont toutes ornées de motifs extravagants, soit peints sur la porcelaine, soit même en relief sur les assiettes, comme si elles prenaient vie, et les rendant parfaitement non fonctionnelles ; les motifs ou les éléments sculptés en relief évoquent l'univers de Giorgia O'Keefe, autre grande artiste américaine, avec des formes organiques qui font penser tantôt à des fleurs, à des papillons ou à des vulves. Des images presque taboues, colorées, étranges, voluptueuses, a priori loin de l'univers de la table et devenant pourtant des mets potentiels, un « mauvais goût » assumé qui vient là aussi bousculer l'institution muséale et les représentations convenues, surtout lorsqu'il s'agit du corps des femmes et de leur nudité, ou de leur intimité.

Le décor de la table a également son importance par les artisanats représentés, le plus souvent associés aux femmes et considérés comme « mineurs » par rapport à l'art avec un grand A. Grâce à Judy Chicago, ces formes d'art entrent au musée et sont associées à des personnalités importantes. Sur le sol, au centre de l'œuvre, dans le triangle défini au sol par la position des tables, d'autres noms de femmes sont inscrits ; il n'y en a pas moins de 999.

Mais qui sont les femmes invitées à prendre part à ce banquet ?  Il s'agit de personnalités féminines mythiques ou historiques, issues de toutes les cultures mondiales, chaque côté du triangle représentant une période de l'histoire.. On y trouve aussi bien Aphrodite que Kali, Eve, Antigone, Lucrèce, Agnès Sorel, Artemisia Gentileschi…

L'artiste souligne l'expérience commune de ces personnages, appartenant toutes à la condition féminine, en les rassemblant dans cette pièce, à ce dîner, avec une certaine symétrie dans le dispositif et dans les objets/ustensiles disposés à chaque place. Elle les invite à occuper l'espace (littéralement) et propose aux visiteuses et aux visiteurs de mesurer l'héritage féminin qui est le nôtre, à s'intéresser à ces figures puissantes et parfois oubliées. Sans oublier la référence implicite à la Cène, qu'elle vient ici bousculer et dont elle propose une sorte de version non autorisée, ou alternative. Il me plaît d imaginer ce que les invitées de ce banquet extraordinaire auraient à se raconter… 

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com 
Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris