Manet et l'amour de la nature morte
“Un peintre peut dire tout ce qu’il veut avec des fruits, des fleurs et même des nuages”. 

Dans l'oeuvre d'Edouard Manet, certains tableaux sont passés à la postérité et sont connus dans le monde entier : son Déjeuner sur l'herbe,  son Olympia, ou encore Un bar aux Folies-Bergère. Dans toutes ces images devenues iconiques, les personnages et les scènes représentées ont fait couler beaucoup d'encre : la femme dévêtue au corps laiteux assise parmi des hommes en frac dans le Déjeuner sur l'herbe ; Olympia, jeune beauté de son temps, probablement prostituée, dont la pose fait écho aux figures mythologiques de la peinture classique avec une provocation malicieuse ; la serveuse au regard  mélancolique, sujet original d'une scène de fête dans le Bar aux Folies Bergères. Des femmes "ordinaires" dont la nudité ou la simple représentation choquait le monde de l'art et la bourgeoisie à l'époque de Manet, alors que les musées étaient pleins de ces beautés langoureuses, sous le prétexte de la mythologie ou de la peinture d'histoire. Manet, à travers ces choix, dénonce cette hypocrisie. Il a aussi l'intuition que la normalité, la banalité, le réel, recèlent une magie pour peu que l'on sache la regarder et la montrer. Et à y regarder de plus près, dans tous ces tableaux célèbres se cachent d'autres images, qui relèvent d'un genre particulier : la nature morte.

Dans le Déjeuner sur l'herbe, c'est le panier de victuailles déversé au premier plan qui attire notre attention. Le pain et les fruits sont éparpillés au sol, non pas sur une nappe, mais sur la robe de la femme, toute proche, qui nous regarde, sans aucune gêne malgré sa nudité. Manet a apporté un grand soin à peindre ces objets tout simples, et l'on pourrait zoomer sur ces détails pour en faire un tableau indépendant.XXIl en va de même avec Olympia : la servante noire qui se tient derrière la jeune femmes tient dans ses bras un grand bouquet de fleurs, dont les couleurs délicates font un clin d'œil subtil aux motifs floraux du châle sur lequel Olympia est allongée. La servante tient ce bouquet emballé dans du papier blanc très lumineux comme si elle voulait attirer et détourner notre regard en même temps, brouiller les pistes avec un tableau impressionniste quand le corps d'Olympia, tout proche, apparaît par contraste si réaliste, si charnel. Le peintre semble dire : tout est important à observer, les fleurs, les personnages, la peau, la décoration de la pièce.

Dans le Bar aux Folies Bergères, c'est encore au premier plan que l'on peut admirer une nature morte virtuose : bouteilles étincelantes d'apéritif et de champagne, vase improvisé dans une flûte, serti de deux roses délicates, ou encore coupe en verre contenant des clémentines, et jusqu'au petit bouquet qui orne le corsage de la serveuse. Autant de touches de couleur et de lumière qui définissent le cadre festif et forment une sorte de barrière entre nous (qui prenons la place des clients en l'observant) et cette jeune femme qui se tient derrière le bar. Et c'est aussi grâce à ces objets, dont certains se redoublent dans un reflet au second plan, que l'on comprend que la serveuse se tient devant un grand miroir. On ne sait plus, alors, quel est le sujet principal de cette image : la scène que l'on voit dans le miroir, avec la foule installé dans la salle du café concert et ses grands lustres en cristal? Ou bien la transaction entre cet homme élégant que l'on devine dans le reflet et la serveuse? Ou encore ces objets, symboles du divertissement, de l'ivresse et d'une soirée de music-hall qui permet à la bonne société parisienne de venir s'encanailler, tandis que d'autres triment sans joie ?On le voit, la nature morte occupe une place centrale dans l'œuvre de Manet, y compris quand elle se "cache" dans des tableaux qui ne se revendiquent pas directement de ce genre pictural. Et elle lui permet de souligner certains messages, de raconter un instant de vie, de l'ancrer dans le concret.  

Mais Manet a également peint une multitude de "vraies" natures mortes : c'est le cas par exemple avec ce très festif Huitres, citron, brioches de 1876.  L'inspiration est à chercher du côté du siècle d'or hollandais, notamment de Peter Claesz. La composition, le choix des objets représentés, le cadrage avec un couteau qui dépasse légèrement de la table sont autant d'éléments que l'on retrouve dans les natures mortes du 17e siècle. Mais ici, la touche vibrante et le traitement de la lumière sont très différents, le peintre s'émancipe du réalisme. Il y a là une forme d'amour de la matière, de la lumière, de la vie, du mouvement, un appétit de couleurs et de textures qui trahissent une forme de gourmandise très charnelle et qui donne envie de dévorer cette peinture avec les yeux!Toute l'équipe de Mes Sorties Culture vous souhaite un bon réveillon et une merveilleuse année 2023! 

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com 
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